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Tribune de Gilles Antonowicz

 

« À mal nommer les choses, on introduit du désordre dans le monde. »

Cette phrase de Camus (trop souvent utilisée à tort et à travers) prend tout son sens dans le débat sémantique concernant la fin de vie. Deux exemples :

 

1) Sur l’euthanasie, le suicide médicalement assisté et le suicide assisté.

 

Rappel : si la loi que nous appelons de nos vœux existait en France, l’euthanasie serait un acte pratiqué par un membre du corps médical sur un patient en fin de vie (c’est-à-dire, selon le code de la Santé publique, « en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable »), à la demande de celui-ci s’il est en état de s’exprimer ou, s’il ne l’est pas, à l’issue d’une procédure collégiale déjà définie par la loi pour autoriser l’arrêt de tout traitement (art. L.1111-11 et art. R.4127-37-2 du même code) ; le suicide médicalement assisté signifierait très exactement la même chose, à cette différence près que le médecin se contenterait de prescrire le produit létal à son patient qui se l’administrerait lui-même. Telles sont actuellement les pratiques légalisées en Belgique qui, le jour où la France les adoptera, seront reconnues pour les patients comme un droit.

 

Le suicide assisté, expression systématiquement utilisée sans autre précision par les médias[1] , ne s’inscrit nullement dans ce processus. Le suicide assisté peut en effet concerner des personnes qui ne sont ni malades, ni en fin de vie, souhaitant mettre fin à leurs jours pour des raisons qui leur sont personnelles, ce qui est un tout autre sujet. Cette assistance ne saurait faire l’objet d’une loi. Le suicide ne saurait être un droit, c’est une liberté. Pour jouir de cette liberté, libre à chacun de se rendre éventuellement en Suisse où quelques rares associations (Dignitas) proposent ce « service » pour une dizaine de milliers de francs suisses (quand d’autres, tel Exit, s’y refusent). On peut parfaitement respecter cette démarche, mais on peut aussi comprendre les dangers d’une telle pratique.

 

La confusion entre suicide assisté et suicide médicalement assisté est donc éminemment regrettable, car l’utopie de la première proposition (revendiquée par certains) ruine la crédibilité de la seconde. Cette confusion fournit des arguments aux opposants à toute évolution législative qui s’en servent pour brandir la menace des dérives réelles auxquelles le suicide assisté pourrait donner lieu. D’où la nécessité d’être précis, d’utiliser le mot juste : parler de suicide médicalement assisté et bannir l’expression fourre-tout de suicide assisté.

 

2) Sur les « actes d’endormissement » …

 

L’article L1110-5-2 du code de la Santé publique autorise depuis 2016 « une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie[2] » pour les patients en souffrance, atteints d’une affection grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé à court terme.  Cette sédation terminale entraîne le décès du patient dans un délai pouvant atteindre parfois quinze jours … Jean Leonetti, « père » de ce texte, appelle cela pudiquement un « acte d’endormissement » …

 

En bon français, cet acte devrait pourtant porter le nom d’euthanasie. Comment nommer autrement ce qui survient lorsqu’un médecin arrête de nourrir et d’hydrater quelqu’un jusqu’à ce que mort s’ensuive, en espérant calmer dans l’intervalle ses souffrances par l’apport massif d’analgésiques (sur l’efficacité desquels on n’a d’ailleurs aucune certitude) ? Qu’est-ce que la sédation terminale si ce n’est une forme aussi sophistiquée que barbare d’aide active à mourir ? Cela n’étant pas clairement dit, comment s’étonner de voir les médecins refuser d’appliquer de tels protocoles puisqu’on ne cesse de leur répéter qu’ils n’ont « pas le droit de provoquer délibérément la mort » (art. R.4127-38 du CSP) ? 

 

Le comité d’éthique vient, une nouvelle fois, de s’opposer à toute évolution législative au prétexte que la loi actuelle serait suffisante si le corps médical l’appliquait mieux. Le comité d’éthique se trompe. La principale cause de la mauvaise application de la loi ne résulte nullement du défaut d’information et de formation du corps médical. Elle résulte du refus, par le législateur, de nommer les pratiques qu’il autorise, plaçant du même coup les médecins dans des situations impossibles. Il faut donc le marteler : si la loi n’est pas appliquée, c’est parce qu’elle n’est ni compréhensible, ni sécurisante pour les médecins.  Le code de la Santé publique doit clairement dire que ce n’est pas la durée mise par le patient à mourir qui définit l’intention du praticien et que l’agonie ne doit plus être une étape obligatoire de la fin de vie.

 

Le code de la Santé publique doit donner aux médecins la possibilité d’intervenir selon un protocole autre que celui de la sédation terminale lorsque ce protocole est refusé par le patient (cf. le cas de Chantal Sébire) ou par le médecin qui le juge (à raison) inapproprié. Doivent être considérées comme relevant de l’euthanasie ou du SMA, toutes les bonnes pratiques médicales mises en œuvre pour assurer cumulativement le respect du droit du patient au refus de tout traitement, son droit à voir ses souffrances soulagées et permettre au médecin de ne pas s’obstiner de manière déraisonnable, sans crainte de représailles judiciaires.

 

Les médecins ont besoin de sécurité. Pour agir en conscience, ils ne peuvent pas s’en remettre a posteriori, après plusieurs mois ou années d’attente, à l’appréciation du Parquet (pour un éventuel classement sans suite) ou d’une cour d’assises (pour un possible acquittement). Pour que la loi soit appliquée, il faut avoir le courage politique de nommer les choses.

 

Gilles Antonowicz

Membre du Collège décisionnel de l’association 

LE CHOIX – CITOYENS POUR UNE MORT CHOISIE

Ancien vice-président de l'ADMD (démissionnaire),

Avocat de Chantal Sébire.

Auteur de Euthanasie, l'alternative judiciaire (L'Harmattan),

Fin de vie (préface de Michel Rocard, L'Archipel),

Moi, Hervé Pierra, ayant mis 6 jours à mourir (France Loisirs).

 

 

[1] Il en va de même pour le mot euthanasie, habituellement utilisé pour désigner l’abattage d’un animal dangereux qui n’en a nullement formulé le vœu ....

[2] C’est-à-dire, pour être clair, l’hydratation et la nutrition artificielles définis comme des traitements par l’article L1110-5-1.

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