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Fin de vie: Mettons fin à l'hypocrisie

Par Philippe Bataille, Directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales.


Le débat sur la fin de vie des Français reprend à l’occasion des États généraux de la bioéthique. C’est une très bonne chose puisque la loi Claeys-Leonetti de 2016 est un entre-deux qui ne satisfait personne. Ni les partisans de l’euthanasie et du suicide assisté ni leurs détracteurs.

 

Pour les uns, la loi actuelle affirme le droit des patients à réclamer une mort qui s’annonce mais qui ne se réalise pas seule. Pour les autres, elle consacre l’interdit de mourir en soupçonnant, par principe, la moindre conduite active d’aide médicale à mourir. La solution retenue par le législateur est d’endormir les candidats jusqu’au trépas, couplée à une suspension d’hydratation et d’alimentation pour le rendre certain. Point d’injection létale. Pas question non plus de surdoser un sédatif dont l’effet mortel serait immédiat.

 

En l’état, la loi Claeys-Leonetti génère du désordre. D’abord pour les médecins et les soignants, qui ne savent plus ce qui est permis et ce qui est interdit. Mais aussi pour les mourants, qui agonisent longuement. Rien n’a fondamentalement changé entre la loi Leonetti de 2005 et sa réforme, en 2016, encore en vigueur. Même chaos dans les lits d’hôpitaux, en pire.

 

Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi tant d’indécision face au trépas que des désespérés réclament ? Que leur répondre quand ils envisagent leur mort comme une libération ? Pourquoi le droit à mourir existe-t-il ailleurs, et pas en France ? Quelles évolutions législatives attendre du débat bioéthique ? Que penser de la sédation profonde sans réveil, qui n’est pas une assistance médicale à mourir ? N’est-il pas temps de franchir une étape supplémentaire ? Laquelle ?

 

MOURIR DANS LA LÉGALITÉ

 

Ces questions rebondissent alors que les Français suivent, accablés, la chronique des drames de la fin de vie. Tout le monde a en tête le cas de Vincent Lambert, ce paraplégique inconscient depuis 2008 qui végète depuis toutes ces années dans un service de soins palliatifs du CHU de Reims. À l’hôpital de Nancy, la petite Inès au cerveau éteint survit artificiellement. Les Français ont également suivi la mise en cause du docteur Nicolas Bonnemaison, condamné pour assassinat en 2015. Le tribunal lui reproche d’avoir administré 0,5 milligrammes d’Hypnovel à une vieille dame entrée agonisante aux urgences de l’hôpital de Pau. Ils ont été scandalisés par le combat perdu d’Anne Bert, atteinte de la maladie de Charcot. Victime du handicap qui l’emmurait chaque jour un peu plus, c’est la médecine belge qui l’a libérée de son calvaire en octobre 2017.

 

Une loi qui ne résout aucun des problèmes auxquels elle prétend répondre les aggrave. Sauf à trépasser dans la clandestinité avec un médecin complice ou à passer la frontière pour mourir dans la légalité, ce qu’a fait Anne Bert après tant d’autres. Le scandale est total. La loi en place génère des inégalités grandissantes, alors que tout nous amène à penser qu’il faudra bien un jour, bon gré mal gré, s’ouvrir à la fois à l’euthanasie et au suicide assisté, car la médecine qui sauve —le plus souvent— doit s’avouer en panne de remèdes —à d’autres moments. L’euthanasie et le suicide assisté sont nécessaires pour libérer, par le geste qui soulage au moment qui convient, celui ou celle qui refuse une agonie dégradante faite de souffrances et d’attentes, et réclame ce geste.

 

VERROU PARLEMENTAIRE

 

Il est temps de s’interroger sur le tempérament violent et solitaire d’une France qui s’arc-boute sur l’interdit de tuer, sacralisé par un verrou législatif que d’autres pays ont fait sauter. Ailleurs, des législateurs ont admis qu’au terme d’une lutte perdue contre la mort, la dignité et la liberté devaient l’emporter. Ils ont conçu l’assistance à mourir en réponse à l’abandon médical du patient, par exemple au Canada en 2016, et dans nombre d’états américains comme la Californie en 2015, ou la Belgique dès 2002. Tous ont pris le parti de légaliser l’euthanasie ou le suicide assisté, sous conditions.

 

Pourquoi tant de réticences politiques alors que les Français font preuve d’une grande maturité face à la mort qui soulage ?

 

La réponse tient en un mot : l’hypocrisie. Car en vérité, tout le monde sait qu’une sédation sans réveil n’est rien d’autre qu’une mort annoncée dont la médecine garde le contrôle. Elle n’est jamais la réponse à une simple demande d’en finir dont il suffirait qu’elle s’énonce. On meurt en France, comme partout dans le monde, mais plus mal qu’ailleurs, en se sentant abandonné lorsque la médecine qui se retire passe la main aux soins palliatifs dont le propre est de ne jamais rien faire qui précipiterait le décès. À l’inverse, la culture palliative mobilise ses talents soignants ; l’expertise médicale du contrôle de la douleur l’emporte, au nom d’une supposée « nature ». L’ubuesque est la combinaison d’une médecine curative qui se retire dès que s’engagent les soins palliatifs, allongeant l’expérience de la souffrance et la conscience de la dégradation corporelle, sous le regard désemparé des familles et des proches dont la présence ne suffit pas à restaurer la dignité abîmée. L’imparable se fait irréparable pour ceux qui transporteront longtemps ces images du corps d’un proche ainsi livré aux caprices de la mort qui traîne.

 

PEUR DE VIVRE

 

Les Français l’ont dit et répété à travers de multiples sondages : ils réclament unanimement que la loi ne les abandonne pas. Ils demandent qu’on les entende. Et attendent plus encore : que les valeurs qui nous rassemblent opèrent pour eux si, par malheur, ils devaient un jour penser que la mort les libère d’une vie qui les abîme en n’étant plus qu’une dépendance à des machines, ou encore à des soins qui prolongent une part de fin de vie qu’ils ne souhaitent pas vivre.

 

Comment la République peut-elle à ce point défaillir sur ses fondements et bafouer ses valeurs, liberté, égalité et fraternité ? Mourir dignement nécessite d’être accompagné quand la peur de vivre l’emporte sur celle de mourir. Pourquoi livrer à lui-même celui ou celle dont l’existence est dominée par la dégradation corporelle et psychique ? Comment une société avancée peut-elle se faire sourde en renvoyant à sa solitude celui ou celle qui réclame, non pas la pitié, mais le respect de sa citoyenneté ? Vouloir mourir n’est pas une coquetterie, mais l’issue d’un drame que seule la solidarité nationale peut dénouer.

 

Les États généraux de la bioéthique offrent une ultime occasion de l’entendre. Pour sortir d’une suite de malentendus qui s’agrègent avec immobilisme. Les Français réclament massivement que la loi permette enfin d’abréger leurs souffrances et la durée de leur agonie. 

 

Entendons-les, accordons-nous.

 

Philippe Bataille

 

Ce texte est publié avec l'aimable autorisation de l'auteur après une première parution dans Le Nouveau Magazine Littéraire le 26 janvier 2018. 

 

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